Janvier n’était pas le mois préféré d’Adele, sinon il l’aurait tatoué quelque part. Il avait froid, perdait du temps à s’habiller avec des pulls et des bonnets alors que la vie était tellement plus simple en caleçon. RAH, qu’il en avait marre du froid ! Lui qui ne rêvait que de palmiers et de plages de sables blancs se tapait le béton armé de la cour de St-Barnaby, le visage penché en avant contre une bourrasque de vent.

Mais tout n’était pas sombre et Adele était toujours pleins d’idées pour rendre le quotidien amusant. Par exemple il sortait présentement d’un cours ennuyeux d’histoire de la magie et avait décidé de se récompensé d’une petite cigarette !

Il ne fumait pas beaucoup et chaque cigarette était une petite fête. Appuyé contre le mur de l’école, clope au bec, il jeta un coup d’œil autour de lui. Des arbres. Cool. Un gars. Okay. Des nuages. Dac. Wait ! Dans le lot il y avait une possible distraction ! Adele se retourna pour faire face à l’inconnu (courageux comme lui, il n’hésitait jamais à faire face à l’inconnu !).

— Salut, interpella Adele avec un sourire amical.

L’autre n’avait pas un visage ouvert et engageant mais Adele était parfaitement incapable de considérer les gens comme des menaces et trouvait de toute façon que tout le monde était beau. Soit les gens n’existaient pas dans son monde, soit c’était ses copains, et tant qu’il n’aurait pas rencontré quelqu’un qui ne l’aimerait pas, la vie serait aussi simple que cela. Et ce brave garçon était apparu dans son champs de vision, ce devait donc être un copain !

— C’est la première fois que je te vois à STB, c’est marrant.

De son point de vue, tout était drôle.

— Ah ! Je ne me suis pas présenté, se rappela-t-il soudain. Adele Berry – oui je sais c’est un prénom de fille, chacun ses problèmes – je suis Ecossais mais j’ai froid. Et toi ? T’as pas froid ? Est-ce que tu viens d’un pays du Nord avec beaucoup de neige ?

Il s’arrêta pour ne pas paraître trop abruti. Mais son sourire de banane trahissait ses pensées sautillantes. « Oh étrange inconnu, dis-moi que chez toi il fait -40°, que tu fais du chien de traîneau pour chasser le caribou et que l’Ecosse te semble tout doux en comparaison ! » Adele se reprit et tendit son paquet de cigarette à l’étrange étranger.

— Sers-toi !

Il y avait des jours comme ça, où Rhys se demandait si reprendre ses études avait vraiment été une si bonne idée.
D’abord, parce qu’il était entouré de gamins, et que même si ces derniers faisaient pour la plupart en sorte de paraître plus matures qu’ils ne l’étaient réellement afin de se faire bien voir auprès de leurs professeurs, la différence d’âge était difficile à ignorer. Heureusement, certains étudiants tels que Vyungo et De Oliveira semblaient à peu près matures, et lui donnaient moins l’impression d’être le grand-père de la classe.

Parlant de gamin, en voilà un qui venait de faire son apparition dans son champs de vision.

Rhys était plutôt décidé à faire comme s’il ne l’avait pas vu, mais de toute évidence, ce n’était pas le cas de l’autre mec.

« Salut, » répondit-il avec un manque flagrant d’intérêt dans la voix.

« C’est la première fois que je te vois à STB, c’est marrant. »

Rhys, qui ne voyait pas ce qu’il y avait de marrant, ne répondit pas. Il se contenta de tirer une dernière bouffée de sa cigarette, jeter le mégot dans les graviers, l'écraser sous la semelle de sa Doc et enfoncer ses mains dans ses poches.
Il scruta son interlocuteur —Adele Berry, nota-t-il pour future référence— secouant légèrement la tête. Il ne voyait pas où il voulait en venir avec toutes ces questions. Il allait répondre que non, merci, il n’avait pas spécialement froid, et que non, il ne neigeait pas plus qu'ailleurs au Pays de Galles, mais il fut distrait par Adele Berry qui lui tendait son paquet de cigarettes.

Il dévisagea un instant Adele Berry, aucune expression sur le visage, considérant l'offre. C'était bien aimable de sa part, mais s'il acceptait cette cigarette, il allait devoir lui faire la conversation. Et ça, franchement, ça ne lui disait rien.

« Merci, je viens de terminer la mienne. Enchanté d'avoir fait connaissance, Adele Berry, » fit-il en désignant d’un mouvement de tête l’autre côté de la cour, aussi loin que possible de son banc. « Au plaisir. »

Spoiler:

— Au plaisir.

Adele cligna des yeux comme un benêt. C’est tout ? « Argh » fit son enthousiasme en chutant avec son amour-propre dans les tréfonds de son âme.

C’était un échec. L’autre gars était aussi peu enclin à discuter qu’à lui prendre une cigarette de l’amitié. Une petite lumière de joie aventureuse mourut dans le regard d’Adele devant la porte fermée qu’il venait de se prendre en pleine poire.

Fort heureusement pour lui, Adele n’était pas homme à baisser les bras, OH QUE NON ! C’était d’ailleurs bien ce que lui avait dit Ollivander quand il était parti acheter sa baguette magique.

« Voici pour vous Monsieur Berry, essayez donc cette baguette : bois de charme et écaille de dragon, parfait pour les duels et les sorts d’attaques comme de défenses, une véritable arme de guerrier à manier avec précaution ! »

« Trop cool ! » Avait répondu le petit garçon de onze ans qu’il avait été, « Lol, en fait j’aime pas me battre » aurait-il répondu aujourd’hui.

Cependant et même s’il ne se l’avouait pas, Adele était né pour se battre et n’aimait que ça : foncer dans les problèmes. Un candidat pour sortir avec une violente-toxico ? LUI ! Quelqu’un pour supporter Paddy ? LUI ! Un crétin pour se faire harceler par la tarée de son village ? LUI, LUI, LUI ! Vite, qu’on lui donne tous les murs et qu’on éclate ses problèmes sur lui, il prendrait tout, il irait confronter Phil, prendrait des retenus pour comportement indécent, irait rencontrer ses belles correspondantes des îles à l’aveugle, il essaierait de marier son coloc à l’insupportable Shoshana, il ferait tout pour s’enfuir et pour vivre un peu plus chaque jour !

Alors un vieux « Au plaisir » lancé comme un « Va voir ailleurs » ça n’allait pas. Ce gars-là n’avait rien compris. Adele n’avait pas dit « Salut, prend une cigarette », il avait dit « Salut ! Mais qui es-tu inconnu ? Quelles formidables aventures pouvons-nous vivre ensemble ? » Ou du moins c’est tout ce que ses yeux pétillants et son sourire de singe avaient dit.

Argh ! Vite trouver de quoi rebondir ou laisser passer une opportunité de découvrir quelqu’un d’autre ! Parler maintenant, passer pour un idiot peut-être, mais s’accrocher et n’avoir aucun regret avant de dormir ! « J’aurais dût lui proposer un thé. »

— Je paris que tu es en CEART !

Cigarette pointé sur son interlocuteur, Adele avait les yeux tout ravivés de malice. « Je paris que tu es en CEART ! » « Je paris que tu aimes le chocolat ! » « Je parierais n’importe quoi pour relancer la discussion, parce que j’ai faim du monde ! »

Spoiler:

Douche froide. Adele ouvrit les yeux ronds une milliseconde, abasourdit, avant de perdre absolument toute expressions, se transformant en statut de marbre.

— Wow, tu te calmes, lança-t-il aussi sec, sans prendre le temps de comprendre ce que l’autre avait dit.

« NON MAIS QUEL CONNARD ! » Hurlait toutes les fibres de son corps, indigné d’être ainsi insulté, menacé, envahit. Il recula d’un pas, absolument dérangé par la présence du type. Adele oublia complètement sa cigarette qui se consumait sans lui, focalisé sur la violente rage qui le bouffait de l’intérieur.

— Putain tu m’parles pas comme à un chien, c’est quoi ton problème ? Qu’est-ce que t’as à me foncer dessus, à craquer tes doigts, tu cherches quoi ? Balança Adele.

Il était en colère contre ce type, ce gros con qui l’agressait gratuitement. Bouffondor. Adele avait parlé avant d’analyser les mots du gars, submergé par l’émotion et commençait tout juste à retourner les paroles dans son esprit. T’en as d’autres pour m’impressionner ou c’est bon, connard ? Les mots enflaient dans sa tête et se répétaient, exagérant le ton du gars, comme pour nourrir la haine qui bouillonnait dans son ventre.

Quand il n’était pas trop occupé à être dans la lune, Adele n’était plus qu’un simple miroir pour le reste du monde, se contentant bêtement de répondre à l’amour par l’amour, à la haine par la haine. Statique, il avait fallu qu’il recrache rapidement la brutalité de l’autre type.

Les yeux froids, il avait presque une expression dédaigneuse sur le visage. « Vas-y mec. Frappe. » Détaché, il attendait que l’autre bouge ou réponde. « Alors ? Qu’est-ce que t’attend ? Si tu veux te battre, vas-y. » Adele espérait de toute son âme que l’autre ne le décevrait pas.

Qu’il décide de se battre ou de se laisser apprivoiser, mais pitié, qu’il ne s’enfuit pas dans les hautes herbes.

An eye for an eye...:

Adele se prit un coup sec dans l’épaule et une cinglante réponse dans la face.

— La paix.

Il haussa un sourcil dédaigneux, comme bien supérieur à tout cela.

— Quel idiot commence une guerre pour avoir la paix ?

Son ton froid et détaché ne ressemblait en rien à ce qu’il souhaitait être. Le type avait tapé trop bas, avait insulté, poussé, attaqué sans raisons. Adele était hérissé de toute part et au fond, absolument vexé. Depuis quand est-ce qu’on lui disait non ?

Pourrie-gâté d’amour et d’affection, c’était bien une des rares fois où il n’avait pas droit à un écho de gentillesse chez son interlocuteur. Son cerveau avivait en continu l’effroyable injustice dont il était victime. « AH MAIS QUEL CON, IL TE MERITE PAS, VAS Y CASSE TOI ! COMMENT EST-CE QU’IL OSE TE TAPER CE GROS BATARD ?... » C’était une véritable crise de gaminerie à l’intérieur de son crâne. Fort heureusement, son corps ne suivait pas du tout (possédant sans doute sa propre estime personnelle indépendante) et Adele restait droit et digne.

— C’est bon, pas la peine de me répondre, coupa-t-il en levant la main en signe de paix.

Là, là, là, tout doux. Il ne savait pas qui il cherchait à calmer entre le type agressif et sa voix mentale enragée qui réclamait vengeance en crucifiant l’image du gars dans sa mémoire.

— On n’arrive pas à parler sans être des cons autant arrêter de perdre notre temps. Bonne journée.

Et il tourna les talons avant de changer d’avis. Ca lui avait pris toute la raison qu’il n’avait pas pour faire taire sa violente réaction à chaud. Frustré au dernier degré de ne pas avoir exprimé toute la colère qui bouillonnait dans son ventre, il serra inconsciemment sa baguette dans sa poche qui chauffa à blanc et lui brûla la main.

Il ne se priva pas pour insulter cette dernière de tous les noms tandis qu’il regagnait l’école comme un somnambule. C’était bien la première fois qu’Adele était raisonnable et par Merlin, ça n’allait pas du tout. Grand dieux il espérait ne plus jamais avoir à être sage !

Spoiler: