Matin du 2 mai 1998.

Tobias dormait à poings fermés dans son berceau. Il était si paisible, inconscient de tout concept de mort, de violence et de destruction. Un tout petit être encore pur, innocent ; il n’était pas encore l’heure pour lui de choisir entre ange et démon. Mais s’il restait ici, on choisirait pour lui.

Demetria Rowle caressa les mèches blondes de son enfant. Cela lui brisait le coeur de devoir le réveiller d’un sommeil si paisible.
Il pleura de mécontentement lorsqu’elle le prit dans ses bras. Elle le serra doucement contre elle. C’était pour son bien. Elle lui glissa sa tétine entre ses gencives encore nues et son ourson en peluche dans les bras.

lls ne pouvaient rester là plus longtemps.

Elle couvrit l’enfant dans sa cape et sortit du manoir.
Le jour commençait à peine à poindre sur Oxford, mais dans la fraicheur d’un matin de mai et dans la semi-obscurité de l’aube, la ville semblait plongée dans une transe absolument délirante.
Parmi les moldus hagards qui regardaient impuissants cette étrange scène se dérouler sous leurs yeux, des hommes et des femmes en capes jetaient des gerbes d’étincelles en l’air et faisaient tonitruer des bruits de canon. Certains pleuraient, d’autre dansaient, d’autres pleuraient et riaient a la fois. Voldemort n’est plus. Le Seigneur des Ténèbres est mort. Comme une sinistre répétition de cet autre matin de terrible allégresse, dix-sept ans plus tot.

Demetria serra un peu plus fort son enfant contre son sein. Sa gorge était si nouée qu’elle en avait du mal à respirer. Elle sentit qu’elle pourrait perdre connaissance d’un moment à l’autre, mais elle ne pouvait pas se le permettre. A l’heure actuelle, Thorfinn devait être soit mort, soit en route pour Azkaban. Il valait peut-être mieux qu’il soit mort. Et elle— ils la retrouveraient, c’était certain. Elle rejoindrait son mari, en prison ou dans la tombe, pour ses propres crimes.

Mais Tobias — Tobias était innocent. Un ange tant qu’il n’avait pas eu la chance de devenir démon. Il n’y avait aucune raison pour qu’il subisse le fardeau de parents comme les siens. Aucune raison pour qu’il grandisse dans la honte et l’humiliation.
Le monde avait basculé, et les sorciers comme eux étaient désormais les souris dans la fosse à serpents.

Elle transplana dans un bruit de claquement de fouet.
Une clinique médicale. Quelque part dans un quelconque village d’Angleterre. Loin d’Oxford, loin du manoir, et surtout, loin de toute magie. Ici, son nom, la pureté de son sang, rien de tout cela ne serait jamais connu.
Jamais on ne pourrait relier cet enfant a ses parents, Mangemorts déchus. Les bêtes noires du monde sorcier.
Tobias ne grandirait pas dans l’ombre de son arbre familial. Il grandirait dans la lumière.
Demetria déposa le nourrisson dans l’un des berceaux de la nurserie. Elle cligna des yeux pour évacuer les larmes qui l’empêchaient de voir son enfant pour la dernière fois.
Il était désormais orphelin, sans identité. Ne restait plus en souvenir de son ancienne vie que son ours en peluche.
Elle voulait faire une dernière chose pour son fils, avant de ne plus avoir le droit de le considérer comme tel. Tremblant violemment, elle ouvrit tous les tiroirs de la pièce un a un. Elle y trouva finalement des feuilles de papier et un stylo et y griffonna son dernier message dans une écriture saccadée.

Elle plia le papier en quatre et le déposa dans le berceau, à côté de l’ourson.

Elle embrassa le front de l’enfant, puis disparu dans un bruit de claquement de fouet.